De toutes les nuits, les amants de Mieko Kawakami

 

De toutes les nuits, les amants de Mieko Kawakami
De toutes les nuits, les amants de Mieko Kawakami

 

Je n’allais pas rester sur Seins et oeufs, j’ai donc dévoré le dernier roman paru de Mieko Kawakami. Un livre également sur les femmes et leur condition féminine, le travail, l’isolement, l’alcoolisme. 

Fuyuko, la narratrice  a trente-quatre ans ; correctrice, elle travaille en free-lance pour une maison d’édition, vit seule et ne s’imagine aucune relation affective. Elle ne se nourrit pas de ses lectures : elle décortique les mots, cherche la faute cachée, l’erreur embusquée.

Fuyuko est une jeune femme complètement introvertie, repliée sur elle-même avec très peu de centres d’intérêt : la lumière « Elle ne sort la nuit qu’au soir de ses anniversaires en hiver », et le saké comme palliatif (pour communiquer, sortir) . Elle n’a que peu de contact avec le monde extérieur,  ‘Personne ne m’adressait la parole, Je n’adressais la parole à personne p142.

Elle se laisse entraîner par les évènements et ne prend que peu de décisions, disant oui à presque tout. Ou « non », mais si doucement que personne n’entend sa petite voix.  « Je n’avais jamais rien fait par ma décision propre » p148. Fuyuko nous est décrit comme une personne dont son comportement social est proche de l’autisme. Elle ne prend soin ni de son esprit ni de son corps  « C’est mon corps qui faisait pitié » p142.

Fuyuko se lie avec Ishikawa, qui n’a besoin que d’un auditoire pour vivre, donc arrive à trouver une complémentarité à leurs besoins, puis un étrange professeur de physique, qui semble lui aussi atteint de mutisme. Une étrange alchimie entre ces deux personnes qui n’arrivent à communiquer se met en place. Il semble que l’on soit dans le roman Appel du pied « Les rebuts s’assemblent aux rebuts« . Leurs rencontres sont des échanges de communication silencieuse de quelques mots. 

On pourra avoir un avis partagé sur ce roman. Certains seront agacés de ne trouver que de l’aridité, et un manque d’action, une narration qui traîne en longueur. Ou au contraire apprécier le combat de Fuyuko qui vit dans sa sphère intérieur, l’analyse et essaye de la briser maladroitement. Peut-être un roman très Japonais, délicat et en retenue, de par sa poésie douce et lente, mais qui à le mérite de n’avoir aucune frontière quant à la personnalité de ses personnages.

J’ai également trouvé que prendre une personne totalement introvertie et fragile telle Fuyuko comme narratrice principale de ce roman est remarquable. Ceci en la mêlant s’une atmosphère de silence indiciblement poétique. Comme ces silences et tous les non dits remplis de banalités que le professeur de physique et Fuyuko s’échangenet lors de leurs rencontres. 

Dans « Seins et oeufs » on trouvait le portait de trois femmes, dans « De toutes les nuits, les amants » le roman est centré sur deux femmes de caractère et de style complètement différent. Une première complètement introvertie et qui n’arrive pas à communiquer, et une seconde qui est un moulin à paroles. Ishikawa s’extériorise d’ailleurs parfois au mépris des autres.( c’est que ses amies ressentent et lui disent : » les personnes comme toi se font instrumentaliser par ces gens-là pour cautionner leurs idées ») . Mais Fuyuko semble pouvoir faire la part des choses et se défendre (avec des pleurs). Elles vont se retrouver toutes les deux, car victimes de leur propre solitude.

Personnages :

    • Hijiri Ishikawa : Son amie, célibataire qui donne des avis sur tout, féministe. Qui ne laisse jamais un silence survivre dans une conversation, et qui parfois monologue longuement . 
    • Fuyuko Irié : A 34 ans célibataire, est correctrice free lance, métier qui lui permet de s’isoler du monde, de vivre dans le silence autour de ces nombreuses corrections de manuscrit. 
    • Noriko : amie du collège, sa famille fait des pulls
    • Kyôko S. : Editrice, puis travaille dans une boîte de production éditoriale.
    • M Mitsutsuka  : professeur de physique, légèrement introverti, qui se lie avec Fukuyo.

Extraits :

  •  Il y a présence d’un paquet de sensations, c’est ça qui apporte la confusion. Mais je n’arrive pas complètement à y croire.
  • La famille, la maison, les parents, l’école, ce quartier aussi, tout ça c’est pas moi qui les ai choisis ! Tous ces machins qui se serrent les uns les autres dans un endroit tout serré, tout ça c’est un continuum de trucs chiants en expansion permanente, avec tout le monde qui porte le même masque indifférencié sur la gueule. Ça fout les boules ! Ils confondent paix et sécurité avec ennui et immobilisme ! Les types d’ici, c’est tous des bœufs. Ils meuglent comme des veaux, ils grouillent en troupeau pour bouffer leur herbe et puis dormir, fabriquer des gosses, et ça repart. Ils réfléchissent à rien du tout et c’est ça leur vie. Ça me fout les boules, moi…
  •  C’est pour ça que Mlle Ishikawa se sert des gens qui ne disent rien, qui sont comme des éponges, qui restent comme ça sans rien dire et absorbent tout, pour conforter une certaine partie d’elle-même. C’est typiquement le genre qui rebat les oreilles de tout le monde avec son magnifique idéal pour obtenir des jouissances toujours plus excitantes. Mais ça, elle n’en trouve pas beaucoup pour la suivre.
  • Qu’en fait je n’avais jamais rien fait par moi-même, trichant contre moi-même. Par peur d’échouer, par peur d’être blessée, je m’étais soigneusement dispensée de choisir quoi que ce soit, et de fait je n’avais jamais agi par moi-même.
  • Chercher quelque chose dont on ne sait pas si elle existe ou pas, non… plutôt dont on sait qu’elle existe, en fait c’est assez courant comme attitude, mais… ma foi, le fait que ce soit non pas une vérité ou une solution que vous cherchez, mais une erreur ou une faute, c’est tout le drame de la condition humaine… Enfin, je veux dire, c’est profond comme idée. — Désespérant, vous voulez dire ? j’ai ri. — Non, ce n’est pas ça… il a corrigé.
  • Et plus la personne sans intérêt que j’étais mangeait des choses sans intérêt, moins rien n’avait d’intérêt.
  •  Aïe, ça fait mal, hein… avait-elle dit pour me consoler. On a beau savoir qu’un livre sans une seule coquille ça n’existe pas, pour une correctrice, trouver une coquille dans un livre sur lequel on a bossé, c’est le choc suprême, le regret éternel, pas vrai ?
  • Je suis seule, j’ai pensé. J’avais toujours été seule, si longtemps, je pensais qu’il n’était pas possible de l’être plus, et pourtant, là, j’étais vraiment seule.
  • J’ai vaguement vu quelqu’un en blouse blanche marcher dans la pièce, s’approcher, me badigeonner un désinfectant sur l’avant-bras. Il m’a planté une aiguille affreusement grosse sans prévenir et le sang qui circulait jusque-là dans mon corps a commencé à couler comme s’il ne me connaissait plus, comme une corde foncée, et s’en est allé remplir un sac, sans le moindre regret.
  • Une fois la grande lumière de la journée disparue, celles qui restent brillent de toutes leurs forces, c’est pour cela que les lumières de la nuit sont si précieuses. C’est vrai
  • Parce que ceux qui n’en ont pas beaucoup, comme toi, très souvent, eux, les gens type Mlle Ishikawa, eh bien ils ont tendance à profiter d’eux. Enfin, ou à prendre l’ascendant, plutôt. J’ai acquiescé, même si je n’avais rien compris à ce qu’elle venait de dire. — Ah. — En un mot, les personnes comme toi se font instrumentaliser par ces gens-là pour cautionner leurs idées.
  •  pour mon premier emploi aussi j’avais été sélectionnée sur dossier sans avoir rien eu à faire pour décider, et même quand j’avais démissionné, en fait je n’avais fait que fuir une situation importune. J’étais devenue free-lance parce que Hijiri m’avait mâché le travail. Avais-je une seule fois dans ma vie choisi quelque chose selon ma volonté propre et agi de façon à ce que cela se réalise ? Jamais. Et voilà comment je me retrouvais telle que j’étais aujourd’hui, seule.

Divers:

  • Titre original : Subete mayonaka no koibitotachi, 2011
  • Editeur : Actes Sud , 2014
  • Traduction : Patrick Honnoré
  • Ebook : 6,2 heures de lecture, 24 minutes par session, 764 pages tournées, 2 pages / min environ
  • Note : ***** (3.5/5) 

Une réflexion sur « De toutes les nuits, les amants de Mieko Kawakami »

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