Être sans destin de IMRE KERTÉSZ

Être sans destin de IMRE KERTÉSZ
Être sans destin de IMRE KERTÉSZ

Aujourd’hui, je ne suis pas allé au lycée. C’est-à-dire que j’y suis allé, mais seulement pour demander au professeur principal la permission de rentrer à la maison. Je lui ai donné la lettre par laquelle mon père sollicitait une autorisation d’absence “pour raisons familiales”. Il m’a demandé quelle sorte de raisons familiales ce pouvait être. Je lui ai dit que mon père avait été réquisitionné pour le service du travail obligatoire ; alors il n’a plus fait de difficultés.

C‘est ainsi que démarre l’histoire de cet adolescent juif Hongrois de 15 ans, son père vient d’être réquisitionné pour le STO, lui est pris dans une rafle, (étoile jaune) et se retrouve déporté.

Il est transporté dans dans wagons à bestiaux vers un camp, et échappe aux fours d’Auschwitz de justesse pour être envoyé à Buchenwald et Zeitz. Il y travaille et y dépérit rapidement. Il survivra pendant un an dans ces camps jusqu’à la libération.

Le retour à la liberté est des plus violents, les personnes qu’ils rencontrent tournent la tête à son passage, ou lui demande de raconter l’horreur, l’enfer.  Mais il existe entre lui, un survivant et les autres, un mur, une frontière infranchissable.

Moi aussi, j’ai vécu un destin donné. Ce n’était pas mon destin, mais c’est moi qui l’ai vécu jusqu’au bout

Le ton est descriptif, distancié des évènements. Il n’exprime que peu de sentiments, juste ceux de la survie :la faim, la soif, le froid. Il semble sans haine et sans révolte. Il n’y a pas des descriptions de tortures, sadisme. Juste le combat pour la survie, l’obstination à vivre, à survivre.

La lecture de ce roman semble d’une certaine manière tourné vers l’irréel. De la manière dont est décrit les suites d’évènements on (je ) ne ressens que peu d’empathie pour ce jeune, humour noir, cynisme amer.

Imre Kertész ne veut ni témoigner ni “penser” son expérience mais recréer le monde des camps, au fil d’une impitoyable reconstitution immédiate dont la fiction pouvait seule supporter le poids de douleur.

On trouve également la vision des autres: des antisémites, de ceux qui regardent ailleurs, de son oncle Lajos pour qui ce qui arrive est la volonté de Dieu, des résistants, d’un journaliste…

Evidemment, on se sent mal à l’aise à la lecture de ce récit, car on y trouve une certaine acceptation de sa condition, une passivité à combattre, se sauver qui nous dépasse. Mais on doit admettre son obstination à vivre, sa force intérieur. Puis surtout la haine qui nait, lorsqu’il est libéré pour ceux qui tentent de lui faire oublier, de lui extirper l’enfer qu’il a vécu.

il m’a demandé ce que je ressentais, de retour chez moi, à la vue de la ville que j’avais quittée. Je lui dis : “De la haine.”

Extraits :

  • Et malgré la réflexion, la raison, le discernement, le bon sens, je ne pouvais pas méconnaître la voix d’une espèce de désir sourd, qui s’était faufilée en moi, comme honteuse d’être si insensée, et pourtant de plus en plus obstinée : je voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration.
  • Buchenwald est situé dans une région montagneuse et vallonnée, sur la crête d’une colline. L’air est pur, alentour, toutes sortes de paysages changeants, des forêts, les toits rouges des maisons et les vallons environnants s’offrent à l’admiration des yeux. Les douches se trouvent à gauche. Dans l’ensemble, les détenus étaient amicaux, mais pas de la même façon qu’à Auschwitz.
  • C’est également là que j’ai su vraiment ce qu’est la vermine. J’étais incapable d’attraper les puces : elles étaient plus rapides, ce qui était bien compréhensible puisque, finalement, elles étaient mieux nourries que moi. Quant aux poux, je pouvais les attraper plus facilement, sauf que cela n’avait pas de sens. Quand j’étais très en colère contre eux, il me suffisait de passer l’ongle du pouce au hasard sur le tissu de ma chemise tendue sur mon dos et, à la série de craquements bien audibles, je pouvais mesurer ma vengeance, savourer le carnage – mais une minute plus tard, je pouvais recommencer au même endroit, avec exactement le même résultat. Ils étaient partout, ils s’enfonçaient dans tous les recoins, mon bonnet vert en devenait gris, les poux y pullulaient, le faisaient presque bouger. Néanmoins, là où je fus le plus surpris, stupéfait et presque horrifié c’est quand, sentant une démangeaison sur ma hanche, je soulevai le pansement en papier et vis qu’ils étaient déjà sur ma chair et se nourrissaient de ma plaie.
  • Déjà le bruit courait qu’il fallait laisser sur place les valises et les paquets. Ensuite – comme c’était expliqué, traduit et passé de bouche à oreille autour de moi – tout le monde pourrait récupérer son bien, cela va de soi, mais d’abord les objets devaient passer à la désinfection, et nous, à la douche : effectivement, il était grand temps, c’était aussi mon avis. Ensuite, quand ils se sont affairés plus près de moi, j’ai enfin vu les gens d’ici. J’étais vraiment très surpris, car en fin de compte c’était la première fois de ma vie que je voyais – du moins d’aussi près – de véritables détenus, avec la tenue à rayures, la tête rasée et la casquette ronde des malfaiteurs.
  • (…)là-bas aussi, parmi les cheminées, dans les intervalles de la souffrance, il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur.
  • il en avait entendu parler, il savait que c’était “l’un des cercles de l’enfer nazi”. “D’où as-tu été déporté ?” “De Budapest.” “Combien de temps as-tu été là-bas ?” “Un an en tout.” “Tu as dû en voir, jeune homme, des horreurs”, a-t-il dit alors, mais je n’ai rien répondu. “Mais bon, a-t-il poursuivi, le principal, c’est que ce soit fini, passé”, et, tandis que son visage s’illuminait, il m’a montré les maisons parmi lesquelles nous cahotions et m’a demandé ce que je ressentais, de retour chez moi, à la vue de la ville que j’avais quittée. Je lui dis : “De la haine.” Il se tait mais remarque bientôt qu’il doit bien, hélas, comprendre ce sentiment. D’ailleurs, à son avis, “dans une situation donnée”, la haine aussi a sa place, son rôle, “et même son utilité”, et il supposait, a-t-il ajouté, que nous étions d’accord, il savait bien qui je haïssais. Je lui ai dit : “Tout le monde.” Il se tait à nouveau, cette fois plus longtemps

Divers:

  • Titre original : Sorstalanság, 1975
  • Editeur Babel,1998 
  • Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
  • Prix Nobel de Littérature, 2002

6 réflexions sur « Être sans destin de IMRE KERTÉSZ »

  1. Je l’ai lu, la couverture m’y a fait penser. J’ai vu la version cinématographique de Lajos Koltaiavant en version espagnole et j’ai lu le livre, deux ans plus tard. C’est terrible, terrible. Chouette chronique. Une bonne année….

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  2. Je l’ai lu et ça m’a énormément marquée.
    J’ai trouvé que c’était une perspective nouvelle sur les camps, différente de celle de Primo Levi ou de Semprun.
    Il y a un billet sur mon blog si ça t’intéresse.

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