
Troublant, choquant, envoutant, surprenant, poignant et ce ne sont qu’une partie des qualificatifs qui me permettront de décrire ces deux très courts récits.
Deux nouvelles du célèbre Nosaka Akiyuki auteur de ‘la tombe des lucioles’. J’ai été véritablement troublé par cette lecture. Je me suis questionné sur le contenu. Mais j’ai finalement penché pour un conte pour cette première nouvelle éponyme, une ancienne légende Japonaise, trouble, inquiétante, qui mêle amour, érotisme, folie et maléfice.
‘La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés’ nous conte une saga traversée par l’histoire d’une famille : la grandeur et la décadence d’une famille régnant sur un bloc rocheux escarpé et perdu entre mer et montagne dans l’île de Kyûshû. Ce conte commence le plus innocemment du monde quand Takao la fille de la famille, follement éprise des fleurs de la vigne des morts qui pousse sur les tombes, entraîne son frère à lui en cueillir.
Puis peu à peu, on se retrouve dans une démesure sadienne. Des amours interdits entre frère et soeur, père et fille, jusqu’aux orgies vont arriver grâce ou à cause de cette fleur de la vigne des morts.
« Nourris-moi, nourris-moi, les enfants doivent nourrir leurs parents, la tâche des enfants c’est de nourrir leurs parents, murmurait-elle tout bas. Chaque fois que les lèvres de sa mère se posaient sur sa peau, Satsuki laissait échapper de suaves gémissements, se tordait, se cambrait en arrière, puis laissait retomber son tronc au sol. »
Et évidemment l’infanticide afin que resplendisse la beauté de ces fleurs blanches. Mais on retrouve aussi quelques gouttes de fantastique et d’horreur tel du « Lovecraft » par exemple lorsque Setsuo va chercher des fleurs pour sa soeur.
« très bien, très bien, je t’en apporterai autant que tu voudras, répondit Setsuo. Devant ses yeux flottait la vision d’un sarment de vignes des morts venant s’enrouler autour de son corps, se nourrissant de son sang et de sa chair, tandis que les tiges se chargeaient de fleurs à vue d’oeil, ce qui lui procurait un plaisir d’une incomparable intensité. Les minuscules ventouses, qui se séparaient ensuite de lui avec un petit chuintement, s’agrippèrent à la surface de sa peau tout entière pour aspirer son sang, les vaisseaux capillaires de la plante se teintèrent d’un trait rouge, qui courut le long de la tige tandis que son propre corps dépérissait à vue d’oeil. Sa chair tomba en morceaux, sa peau prit d’horribles contours, comme un rouleau de cuir tanné, et il s’abandonna à la plante qui réclamait à nouveau sa pitance. » p37
Car on retrouve insidieusement de la magie de l’envoûtement, d’amour exacerbé, de violence extrême, de maléfices et de morts. Peut-être la vengeance de la montagne qui se fait dépouiller de ses veines de houille, avale les corps, les digère et les rejette !!
Mais nous avons sur cette saga familial, aussi une part historique. Car la mine familiale traverse les guerres, le modernisme rencontrant les hauts et des bas, la guerre
« vie spartiate, extraction du charbon, dévouement au pays ! », « Les bras tendus à la tâche témoignent du moral de l’arrière », « Notre industrie, c’est notre combat pour le pays » p45.
On retrouve de la main d’oeuvre de la guerre fournit par les prisonniers de guerre australiens, puis les coréens (affectés aux travaux les plus pénibles) en dix-huit de l’ère Showa (1944). Puis également Nagasaki et la bombe atomique. La réédition jusqu’à nos jours avec la chute de la demande de charbon et l’apparition de nouvelles énergies.
Nous retrouvons dans ces deux nouvelles un texte d’une magnificence poétique, Les descriptions sont d’une grande beauté, de la même veine que celle qui existe dans « la tombe des lucioles » mais aussi délicieusement sordide mêlé d’érotisme. Beauté alternant avec des moments d’horreur. Seul regret la taille de ces deux nouvelles qu’on aimerait plus longue.
Extraits :
- Nourris-moi, nourris-moi, les enfants doivent nourrir leurs parents, la tâche des enfants c’est de nourrir leurs parents, murmurait-elle tout bas. Chaque fois que les lèvres de sa mère se posaient sur sa peau, Satsuki laissait échapper de suaves gémissements, se tordait, se cambrait en arrière, puis laissait retomber son tronc au sol. p68
- Au fur et à mesure qu’Oyasu avançait, les groupes d’hommes robustes arrêtés sur le bord du chemin se fendaient littéralement en deux pour la laisser passer, certains faisaient même de véritables sauts de carpe pou l’éviter. (La petite marchande d’allumettes, incipit)
- Oyasu obtempéra et, toute nue, indifférente au froid, se laissa glisser sur les nattes brunies par l’usure. L’homme la regarda faire, puis à son signal – « Oï ! » -, quatre de ses comparses pénétrèrent dans la pièce, saisirent les jambes et les bras d’Oyasu, tandis que l’un d’eux se jetait sur elle. » Papa! Papa! » se mit à crier Oyasu, et ces cris incitèrent les hommes à poursuivre de plus belle. (La petite marchande d’allumettes, p94)
Personnages (La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés):
- Kazura : le père
- Tazu : l’épouse
- Takao : la fille
- Setsuo : le fils
- Yoshida : Amant de Tazu
Divers :
- Titre original : Honegami Toge Hotoke-Kazura,1967
- Macchi-Uri no shojo, 1969
- Collection Picquier Poche, numéro 20, 1997, 2003, 2014
- Traduction Corinne Atlan
- Note : ***** (4,8/5)
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